Je devais avoir quatre ou cinq ans. Je me souviens très vaguement de ces cauchemars récurrents où il y avait ces farfadets qui me jouaient du théâtre imaginaire de rebords de fenêtre. Je ne me rappellerai jamais leurs propos, mais leurs dents acérées de loups de salon assiègeront mes souvenirs jusqu’au dernier survivant s’il vient un temps où j’aurai à les perdre, ces souvenirs, pour cause de maladie ou autres folies remuantes. Ils finissaient toujours par courir après moi avec une hache miniature dans le corridor de ma maison d’enfance en guise de salut à la foule (c’est-à-dire, moi). Le corridor en « L » menait directement à la chambre de mes parents, mais inévitablement je ne me rendais jamais jusqu’à la chambre et je fondais dans le trou du bain.
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Hier, j’ai fait un de ces voyages étranges qui me ramènent à mes anciens démons. Tu y étais dans ce monde imaginaire et il y avait Jessica Barker. Je l’aurais bien imaginé en Alice aux pays des merveilles à l’époque des Intrépides, mais maintenant avec toute sa féminité et son charisme magnétique, je n’oserais pas. Je me contenterais de rougir et de l’aimer en secret, dans ma tête. Toutefois, c’est à propos de toi que je voulais discuter. J’allais sortir de la douche quand le trou m’a aspiré. J’ai senti mon corps devenir malléable, de la pâte à modeler. Et flop! J’étais là devant toi. De l’autre côté. À distance d’un baiser, ceux que j’ai cessé d’espérer vus la distance de nos âmes à des trillions de kilomètres d’éloignement. Tu pleurais de cette façon qui te rendait si belle. Même, le cœur de l’Épouvantable en aurait été bouleversé. Tu avais cette manière d’émouvoir avec tes grands yeux bruns fluorescents et tes larmes de cristal aussi démesurées que tes yeux eux-mêmes. Devant toi, j’errais. Sans pouvoir bouger. Je crois même que tu ne me voyais pas. Dans ce laps de temps incongru, je t’aurais serré dans mes bras pour toujours piétinant mon orgueil et toutes les saletés qui pourrissent la beauté des souvenirs. Tu t’imagines bien que je n’ai pas pu. Jessica s’est mise à rire de manière insatiable avant de m’embrasser dans un tableau mouvant de plus en plus embrouillé. Une roche qui tombait dans l’eau.
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Quand je me retrouvais de l’autre côté, ce n’était jamais comme la fois précédente. Un décor différent, des gens différents. Ce n’était plus un cauchemar, cependant, je devais toujours me taper ces maniaques de farfadets pour y accéder. La première fois que je t’y ai rencontré, tu devais avoir toi aussi quatre ou cinq ans. Tu tenais un téléphone dans ta main, l’air de savoir quoi dire, mais ce n’était que pour la photo. Tu n’avais aucune idée comment fonctionnait l’appareil. Tu ne savais pas que plus tard ce serait ma voix qui emplirait le récepteur qui mène à ton oreille. Tu ne te doutais même pas encore de ces fois où j’aurais à te dire : « je t’aime ». Avant de raccrocher rêveur, sans aucune crainte du futur. De mon côté, je n’avais aucune idée que ce rêve où je te voyais enfant deviendrait réalité et que cette photo avec le téléphone, je puisse la tenir physiquement dans ma main amalgamant le passé, le présent et le futur dans une suite illogique. À jamais illogique.
Mood musical: Yann Tiersen – C’était ici
Pilosité faciale: 6 jours
Taux d’amabilité: utopique
Taux de dérision: illusoire