Jour -25
Il y a émeute dans la cour, les chiens s’émeuvent pour rien. De ma fenêtre, je vois madame Bernard tenter de contenir l’enthousiasme de son berger de ville. Pavlovitch qu’il s’appelle, mais madame Bernard s’entête à lui crier sale cabot ou sac à trouille, ce qui ne doit être en rien revalorisant pour un égo de chien de garde. Parfois quand elle m’en parle, elle le baptise en chuchotant tout bas pour que moi seul l’entende « ce maudit increvable ». Elle le chuchote de peur que son vieux puisse entendre de là-haut ou pire que la mort elle-même s’en charge avant l’heure.
C’était le vieux justement qui s’était entiché de cette bête, juste avant sa mort. Du plus loin que je me souvienne, monsieur Bernard lisait Dostoïevski. Du moins, les dix années où je l’ai croisé sur son balcon, il roupillait sur sa chaise, « L’idiot » sur les genoux. Une rumeur dans le quartier veut qu’il fermât les paupières pour la dernière fois le bout du nez pointé sur le dernier mot du premier chapitre. « Fiacre », ce qui n’est pas, à mon avis, le plus joli mot pour reposer en paix.
Quand je me surprends à observer les étoiles du haut de mon balcon, j’imagine Pavlovich attelé à un grand chariot aérien, tournant et retournant à l’envers chacun des nuages abondant la voûte, entre Montréal et Saint-Pétersbourg, dans l’espoir de retrouver ce fameux bâton que monsieur Bernard, en grimpant au ciel, avait lancé par accident de l’autre côté de la Voie lactée.
Mood musical: Okkervil River – Starry Stairs